Les patriotes de Saint-Lin

En 1837 et 1838, le mouvement patriote possède des ramifications presque partout dans le district de Montréal. À cette époque, le comté de Lachenaie, situé entre ceux des Deux-Montagnes et Terrebonne à l’ouest et de L’Assomption et Berthier à l’est, est relativement mobilisé en 1837. Les deux principaux noyaux réformistes se retrouvent d’abord à Saint-Roch-de-Lachenaie (Saint-Roch-de-l’Achigan), mais aussi dans la petite paroisse de Saint-Lin. Voyons qui incarne le mouvement patriote à Saint-Lin-Laurentides.

C’est vers 1805-1807 que les premiers colons s’établissent à « Saint-Lin-de-Lachesnaye ». Les familles Beaudoin, Huneau, Éthier, Brien, Martel et Davis sont dans les premières à s’installer aux abords de la rivière Achigan. Ils proviennent principalement des paroisses de Saint-Roch-de-l’Achigan et de Saint-Henri-de-Mascouche. Rapidement, l’industrie forestière devient l’activité économique prédominante, surtout après la construction d’un moulin à scie et à farine sur le lot 1586, au centre de l’actuelle ville, en 1810, par le seigneur de Lachenaie, John Pangman. C’est d’ailleurs ce qui lui vaut le vocable de « paroisse à Pangman ».

L’érection canonique de la paroisse de Saint-Lin-de-Lachesnaye, comme on la nommait alors, s’effectue en 1828. Dès 1831, on dénombre déjà quatre écoles ainsi qu’un couvent. On crée la municipalité de la paroisse de Saint-Lin en 1836, soit un an avant les troubles politiques. En 1856, on constitue le village tandis qu’en 1883, on fonde la Ville des Laurentides. C’est finalement en 1998 que la municipalité de Saint-Lin est annexée à la Ville de Saint-Lin-des-Laurentides.

Entre 1834 et 1837, les assemblées publiques se multiplient partout au Bas-Canada. Dans le comté de Lachenaie, les rassemblements patriotes se déroulent principalement àSaint-Roch-de-Lachenaie. Aucune assemblée, autant patriote que loyale, n’est recensée à Saint-Lin durant cette période. Toutefois, le 19 avril 1834, se tient dans une salle d’école de Saint-Roch-de-Lachenaie, une assemblée patriote lors de laquelle est formé un imposant comité de 75 membres afin de prendre en considération l’état de la province. Les gens suivants sont nommés pour la paroisse de Saint-Lin : Louis Archambault, Édouard Desforges, les capitaines Abraham Éthier et Germain Gariépy, Jean-Baptiste Huneau (dont nous parlerons plus loin), François et Joseph Renault, André Robinet et Alexander Witt. Ces individus, à l’exception de Jean-Baptiste Huneau, n’ont vraisemblablement pas participé directement aux rébellions de 1837-1838.

À Saint-Lin, quatre hommes jouent un rôle plus important en 1837. Ils sont pour la plupart incarcérés l’année suivante et auraient peut-être participé à l’historique bataille de Saint-Eustache le 14 décembre 1837. Ce sont David Beaudoin, Jean-Baptiste Huneau, Jean-Marie Latour et James Scully.

David Beaudoin, âgé de 28 ans lors des événements qui nous préoccupent, est forgeron à Saint-Lin. Le 17 février 1838, il réalise un examen volontaire dans lequel il affirme être marié et n’avoir aucun enfant. Il affirme de plus avoir été capturé à Saint-Lin le 13 février 1838, vers 23h00, par le capitaine Lecour de Rawdon et New Glasgow. Il dit : « J’ai été pris je crois pour avoir fait des lancés pendant les troubles de Saint-Charles. » Plus loin, il confirme avoir fabriqué une dizaine de ces armes. Il aurait été commandé par le « jeune Buck » d’aller au feu de la Rivière du Chêne. Beaudoin rajoute cependant : « je me cachai et n’y fut point. »

De son côté, Jean-Baptiste Huneau est un des principaux marchands de Saint-Lin. Il affirme dans son examen volontaire, en date du 17 février 1838, qu’il est âgé de 34 ans, qu’il est marié et qu’il a trois enfants. Il est mis sous arrêt par le même capitaine Lecour, accompagné de volontaires loyalistes, mais « sans savoir pourquoi ». Voici comment le marchand de Saint-Lin décrit son arrestation : « Je savais que le capitaine Lecour devait venir chercher des armes dans notre village. Aussitôt qu’il m’en fit la demande, je lui livrai mon fusil, ma corne, mon sac à plomb et environ vingt-trois livres de poudre que j’avais dans mon magasin. » Il conclut en confirmant avoir « toujours été royaliste et approbateur démesuré du gouvernement ».

Jean-Marie Latour est pour sa part un forgeron âgé de 37 ans en 1838. Résidant de Saint-Lin, il est marié et a cinq enfants. Il est aussi arrêté le 13 février 1838, dans son village, « par des volontaires qui ne parlaient point français ». Conduit selon toute vraisemblance à la prison du Pied-du-Courant à Montréal, tout comme ses congénères, Latour affirme ce qui suit dans son examen volontaire : « Je ne sais pas pourquoi j’ai été pris, j’ai toujours été royaliste et n’ai jamais rien fait contre le gouvernement pour me mériter un pareil traitement. » En vain, il accuse les volontaires d’avoir « tiré le fusil à travers la porte » de sa résidence.

Enfin, plusieurs dépositions dénoncent l’implication, au sein des insurgés, de James Scully, possiblement capitaine au sein des rebelles. Nous reviendrons ultérieurement sur son cas.

Nous avons aussi relevé les noms de deux autres individus susceptibles d’avoir trempé dans la résistance politique à Saint-Lin. Il est d’abord question de Jean-Louis Gagnon, élu à la présidence de syndic scolaire à Saint-Lin le 14 juin 1829, qui est nommé sur un comité de 38 personnes lors d’une assemblée patriote tenu à Saint-Roch-de-l’Achigan, le 1er mai 1837. Il y a aussi Charles Laurier, capitaine de milice, nommé lors d’une réunion réformiste à Saint-Charles-de-Lachenaie, le 4 novembre 1837. Lui aussi est élu à la présidence du syndic scolaire de Saint-Lin en 1829.

Dans le clan bureaucrate, le juge de paix, lieutenant-colonel de milice, homme d’affaire et seigneur, John Pangman (1808-1867), incarne véritablement l’opposition aux patriotes. Né à Montréal et fils de Peter Pangman, important trafiquant de fourrures associé à la North West Company, John Pangman hérite de celui-ci la seigneurie de « La Chesnaye » (Lachenaie) en 1819. Dans le contexte politique bouillant qui suit la réception des dix résolutions de lord John Russell à Londres, Pangman est nommé au Conseil législatif le 22 août 1837. Il occupe son siège jusqu’à la suspension de la constitution, le 27 mars 1838. En décembre 1837, en pleine période de rébellion au Bas-Canada, il est habilité à faire prêter le serment d’allégeance à la couronne britannique dans la seigneurie de Lachenaie. Il meurt à Montréal, le 5 janvier 1867, à l’âge de 58 ans.

En conclusion, malgré le fait qu’il ne s’y déroule aucune assemblée patriote, la petite paroisse de Saint-Lin-Laurentides a connu une certaine mobilisation patriote en 1837, comparable à celle de toutes autres paroisses du Bas-Canada durant la même période. Il va sans dire qu’aucune escarmouche ne semble survenir à cet endroit. Par contre, certains chercheurs croient que les Beaudoin, Huneau, Latour et compagnie se seraient peut-être rendus au combat de Saint-Eustache. Voilà entre autre pourquoi ils auraient été incarcérés au cours du même hiver. Leur histoire est donc à suivre…

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