Un ivrogne à la bataille de Saint-Eustache

 

Le récit provient d’un ancien membre des volontaires loyalistes de Montréal publié dans le Montreal Star en 1887. Après avoir délogé quelques rebelles d’une partie de l’église en flammes le 14 décembre 1837, ce dernier réussit avec d’autres à pénétrer dans le couvent par des châssis du soubassement. Tout en examinant les chambres qu’il qualifie d’une « extrême propreté », il porte son attention sur l’âtre d’un foyer. Il décrit la situation en ces termes : « Comme j’y portais le regard, je crus entendre, à travers le crépitement de la flamme, un léger bruissement, comme si une créature vivante remuait dans la cheminée ».

            Il s’approche donc, regarde de plus près et observe un petit objet noir qui pend à l’intérieur du foyer. Il saisit aussitôt celui-ci qui était finalement « un pied humain chaussé d’un mocassin ». Un gros habitant dégringola ensuite sur le plancher! « Il était évidemment pris de boisson, car il tremblait et répandit dans la chambre une forte odeur d’alcool ».

            Le pauvre homme était effrayé aux dires du volontaire. Dès qu’il retrouva l’usage de la parole, il dit : « Je ne vous offrirai pas de résistance, mais, seulement, donnez-moi le temps de faire une courte prière avant que vous ne me mettiez à mort ». Le volontaire ria alors un bon coup de ses propos plus ou moins cohérents. Il le rassura en lui disant qu’il ne le tuerait pas s’il demeurait à ses côtés et qu’il ne tenterait pas de s’échapper. Prudemment, le captif est conduit hors du couvent. Son « gardien » entend le livrer aux autorités sain et sauf ».

            Le volontaire montréalais avoue qu’il craignait beaucoup la fuite de son protégé « ce qui lui aurait valu la mort; les soldats étaient exaspérés du meurtre de [George]Weir », lieutenant de l’armée anglaise tué arbitrairement à Saint-Denis le 23 novembre 1837. Il remit finalement son prisonnier au sergent Wilson des Royals. Le malheureux ivrogne paraissait des plus heureux de s’en tirer ainsi! Le sergent le lia à un autre prisonnier « par les bras et les laissa parmi les morts et mourants ».

            Par la suite, comme on le sait, le couvent brûla et le volontaire se rendit bien compte qu’il « avait arraché [le] pauvre habitant à une mort affreuse ».

            Le volontaire renchérit quelques semaines plus tard à Montréal alors qu’il se rendait à un exercice militaire. Marchant sur l’actuelle rue Notre-Dame, il remarque un homme de l’autre côté du chemin qui le regarde attentivement. Ce dernier poussa alors une exclamation de joie, traversant la rue à la course et saisit sa main. Le volontaire, un peu surpris, le reconnu immédiatement. Ému de plaisir et de reconnaissance, il remercie chaudement son bienfaiteur de lui avoir ainsi sauvé la vie à Saint-Eustache.

            Il le questionna ensuite de sa libération hâtive. L’ex-captif affirma avoir été élargi depuis quelques jours, n’ayant eu qu’à faire son serment d’allégeance qu’il traduit ainsi : « […] le juge avait purement récité une courte prière avec lui, lui avait fait embrasser un livre et l’avait congédié en lui disant de s’en retourner dans sa famille et d’y vivre paisiblement ».

            Voilà donc la petite histoire d’un drôle de personnage vraisemblablement enrôlé de force par les hommes de Girod et Chénier afin de combattre sa majesté en 1837.

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