Luc Girouard

Luc Girouard naît à Montréal (Saint-Laurent) le 5 septembre 1793. Il est le fils de Joachim-Amable Girouard et d’Appoline Cousineau. Il n’a d’ailleurs aucun lien de parenté avec le notaire Jean-Joseph Girouard de Saint-Benoît. Le 19 janvier 1818, il épouse à Saint-Eustache Ursule Daoust, fille de Guillaume Daoust et de Catherine Lauzon. Le couple a ensemble 11 enfants : Antoine, Elmire, Henriette, Hippolite, Marie-Emilienne, Marie-Olive, Marie-Ursule, Marcelline, Octave, Olivier, Sévère.

Les recensements nous donnent quelques détails sur la vie de ce cultivateur de Saint-Eustache. En 1825, on apprend que la famille de Luc Girouard habite sur la Petite rivière. Le recensement de 1831 nous informe particulièrement sur ses avoirs. Toujours cultivateur sur la côte de la Petite rivière (Rivière Sud), Luc Girouard possède 140 minots de blé, 24 minots de pois, 200 minots d’avoine, 8 minots d’orge, 150 minots de pommes de terre, 10 minots de sarrasin. Il est aussi propriétaire de 10 bovins, 4 chevaux, 15 moutons et 7 porcs. En 1842, il se trouve toujours à Saint-Eustache.

Luc Girouard semble avoir bel et bien joué un rôle non négligeable lors des troubles de 1837, dans le comté des Deux-Montagnes. On sait qu’il est jugé « compromis » dans la rébellion, si l’on se fie à un tableau dressé par messire Jacques Paquin, curé de Saint-Eustache, en 1839. De plus, il est aussi qualifié de « patriote » par Gabriel Lefebvre, capitaine de sa compagnie de milice, dans une liste réalisée le 11 septembre 1839. Son nom se retrouve enfin dans un recensement politique réalisé par le docteur Charles Gordon O’Doherty, en septembre 1839, dans lequel il est bien spécifié que Girouard est un patriote demeurant sur la Fresnière (sud de la petite rivière du Chêne).

Girouard participe à la mobilisation patriote qui caractérise le comté des Deux-Montagnes entre 1834 et 1837. En fait, il est signataire de l’invitation, datée du 18 mai 1837, en vue de l’assemblée anticoercitive tenue à Sainte-Scholastique, le 1er juin suivant. Son nom se retrouve aux côtés de ceux de Jean-Joseph Girouard, des frères Damien et Luc-Hyacinthe Masson, Jean-Olivier Chénier, Joseph-Amable Berthelot, Louis Coursolles, Jacob Barcelo. Il est donc fort probable que Luc Girouard ait participé au grand rassemblement auquel participe notamment le chef Louis-Joseph Papineau.

Dans son ouvrage sur La rébellion de 1837 à Saint-Eustache (1883), Charles-Auguste-Maximilien Globensky publie les témoignages de plusieurs personnes afin de réhabiliter la mémoire de son père Maximilien, capitaine des volontaires loyalistes de Saint-Eustache. Dans son livre, Globensky qualifie Girouard d’ « ancien marguillier et cultivateur intelligent, fortuné et qui jouit de la haute réputation de respectabilité parmi ses concitoyens ». On nous apprend qu’en 1812, Girouard participe, lors de la guerre canado-américaine, à la bataille de Lacolle, « et en récompense  de sa bravoure et des services qu’il a rendus au pays, le gouvernement lui paie actuellement une rente annuelle ». Globensky publie ensuite une déclaration de Luc Girouard qui se lie en ces termes :

« Je, soussigné, déclare que j’ai été l’un des partisans actifs des chefs de la rébellion de 1837, c’est-à-dire du commandant Girod et de son major le docteur Chénier.

J’affirme de plus que la déclaration qui a été donnée par Paul Boileau en date du vingt-quatre mars dernier 1877, est fidèle et correcte quant à la partie où il est parlé d’une assemblée convoquée à la porte de l’église de Saint-Eustache, et où M. Eugène Globensky adressa la parole aux révoltés et où il leur donna les avis qui suivent, c’est-à-dire : « de mettre bas les armes, d’adopter des moyens constitutionnels et pacifiques, pour obtenir le redressement des torts que nos chefs nous signalaient. Que ceux qui nous avisaient de recourir aux armes pour avoir un gouvernement responsable et des réformes, étaient aveuglés par l’esprit de parti et qu’ils seraient la cause de bien des malheurs. Qu’enfin, nous n’étions nullement préparés à combattre les autorités militaires et que si nous persistions dans cette voie, nous serions les tristes victimes de cette rébellion mal organisée et plus que prématurée.

Oui, je me rappelle fort bien les conseils sages qui nous furent donnés par mes camarades. Malheureusement, le bon effet produit sur l’assemblée fut de peu de durée; car M. W. H. Scott arriva sur ces entrefaites et dans un discours des plus violents, il paralysa l’impression favorable qui venait d’être inculquée dans l’esprit des insurgés par M. Globensky, qu’il insulta et fit ensuite insulter par la populace.

Quant à moi, comme j’étais indigné des invectives et des menaces dont on accablait M. Globensky, je dis séance tenante à M. Scott qu’il avait tort d’en agir de la sorte, et qu’il vaudrait peut-être mieux pour les patriotes de ne pas s’ameuter contre M. Globensky et de suivre ses avis. Ma remarque était à peine formulée qu’elle m’attira de la part de M. Scott, qui était alors dans un moment d’exaspération, une avalanche d’injures et de lieux communs que je ne veux pas relater.

Ayant vu que dans maintes et maintes occasions, mes compagnons d’armes se livraient à des excès qui me répugnaient, particulièrement quand ils pillaient, menaçaient et insultaient les loyaux, je décidai alors de fuir le camp. Aussi, trois jours avant le feu ou la bataille, j’eus le bonheur de pouvoir m’évader; mais non sans peine et misère, car les approches du village étaient gardées par des piquets d’insurgés ou sentinelles, qui avaient ordre d’arrêter ou de tuer les déserteurs.

Comme M. Paul Boileau, je dis que si j’étais appelé, aujourd’hui, à donner mon opinion sur les troubles de 1837, je répondrais à l’instant que si de tels événements devaient raparaître ou se renouveler, je ne consentirais jamais à y prendre part et je préférais endurer la mort plutôt que de vouloir m’en mêler.

En foi de quoi, j’ai signé la présente déclaration, en faisant ma marque en la présence du Révérend Messire Guyon et du docteur Victor Perrault, ce vingt-neuvième jour du mois de septembre mil huit cent soixante-sept. »

Ce témoignage peut expliquer le fait que Luc Girouard n’est pas incarcéré durant les rébellions de 1837-1838. Cependant, il semble avoir été victime de perquisitions à la suite du passage des troupes britanniques. En fait, Girouard réclame au gouvernement la somme de 12 £, 9 sols et 3 deniers « pour des effets pillés par les troupes et les volontaires ».

Le 30 janvier 1846, Luc Girouard réalise un inventaire complet des biens qui lu ont été subtilisés. Voici la lettre de présentation de ses demandes, en date du 13 février 1846 :

« Aux messieurs les commissaires […], Luc Girouard, cultivateur demeurant paroisse de Saint-Eustache, a l’honneur de vous exposer les faits suivants : Pendant les funestes événements qui ont marqué le passage des troupes dans la paroisse de Saint-Eustache, en 1837, la maison de l’exposant a été envahie et pillée à main armée. Un état complet, précis et détaillé des pertes par lui éprouvées ci-joint au présent pour être soumis à votre examen. En le parcourant, vous reconnaîtrez, messieurs, que l’exposant, au bien fondé à être admis à prendre part à l’indemnité dont la répartition vous est confiée.

Pour justifier la sincérité des pertes qui figurent au dit compte, l’exposant vous produira à votre première réquisition, les témoins et autres pièces justificatives que vous jugerez convenables […] ».

Devant Grégoire Féré et Charles Sleigh, qui sont présents à titre de témoins, Luc Girouard expose aux autorités cette liste d’effets pillés qui débute ainsi :

« Réclamation de Luc Girouard, cultivateur de la paroisse Saint-Eustache pour pertes par lui souffertes à Saint-Eustache, lors et à l’occasion des troubles du Bas-Canada en 1837, le 15 décembre et notamment pour hardes et linges et autre effets qui lui ont été pris par les troupes de sa Majesté, à leur passage de Saint-Eustache à Saint-Benoît sous le commandement de sir John Colborne. »

Voici, par exemple, quelques effets réclamés : un parasol de soie, une jupe de flanelle, un mentelet de Baptiste (sic), quatre chemises de coton, un tablier de coton, huit chemises de toile, une courtepointe, une paire de souliers chevreux, une paire de ciseaux, 12 livres de fillasses (sic), quatre pains de huit livres, huit livres de beurre, quatre livres de confiture, deux verres à pate (sic), sept poches de toile du pays, douze minots d’avoine, deux minots de pois, un minot de sarrasin (sic), un potager, un fusil et une corne ensemble, six poignées de commode de cuivre, deux bouteilles de vinaigre, une paillasse de toile et un mouchoir de soie. Bref, au montant de 12 £, 9 sols et 3 deniers, le réclamant ajoute les « intérêts pendant 8 années », à savoir 5 £ et 12 sols, pour une réclamation totale de 18 £, 1 sol et 3 deniers. Vraisemblablement en raison de sa courte implication aux côtés des patriotes, Girouard ne reçoit que 8 £, 3 sols et 9 deniers de la part de la Commission des Pertes. Luc Girouard meurt à Saint-Eustache le 31 janvier 1883. Il est inhumé dans le cimetière paroissial, le 3 février suivant, devant Olivier Girouard, J. Charbonneau et E. Raby qui agissent comme témoins sous les offices du curé Louis-Ignace Guyon.

Références :

BAC, recensement de 1825, County of the Lake of Two-Mountains, St. Eustache Parish, bobine C-718.

BAC, recensement de 1831, County of the Lake of Two-Mountains, St. Eustache Parish, bobine C-723.

BAC, recensement de 1842, County of the Lake of Two-Mountains, St. Eustache Parish, bobine C-728.

Archives nationales du Canada, Feddocs, Lower Canada Rebellion looses claims 1837-1855, Project 19-2, RG 19, series E-5-B (R200-113-0-F), volume 3796, no 640, p.851, et no 2468, p.681, volume 3775, no 640 : lettre.

BAnQ, greffe du notaire Joseph-Amable Berthelot, minute 1324, contrat de mariage entre Luc Girouard et Ursule Daoust, 17 janvier 1818.

GIROUX, André et Claude Chapdelaine, Histoire du territoire de la municipalité régionale de comté de Deux-Montagnes, MRC de Deux-Montagnes, 38 p.

GLOBENSKY, Charles-Auguste-Maximilien, La Rébellion de 1837 à Saint-Eustache, Montréal, Éditions du Jour, 1974, présenté par Hubert Aquin, p. 199-201.

GRIGNON, Claude-Henri et André Giroux, Fête du 150e anniversaire des Patriotes. Le vécu à Saint-Eustache de 1683 à 1972, Éditions Corporation des fêtes de Saint-Eustache 1987, 2e trimestre 1987, 111 p.

La Minerve, 5 juin 1837.

Le Populaire, 16 juin 1837.

PAQUIN, Jacques, collection privée de Claude-Henri Grignon : Les Promotions du Patrimoine des Laurentides Inc. Tiré de La Revue des Deux-Montagnes, « Tableau politique… », no 5, octobre 1996, p. 43-65.

The Vindicator, 19 mai 1837, 6 juin 1837.

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